L’œuf ou la poule ?
Je lis ces derniers temps beaucoup d’articles sur l’explosion de burn-out post covid et cela m’a pas mal questionnée notamment sur la place de l’environnement dans la survenue d’un burn-out.
En effet en parallèle, j’accompagne des personnes ayant fait un ou plusieurs burn-out qui ont des points communs comportementaux. Ce qui fait penser qu’il y a des facteurs « internes » qui favorisent le burn-out.
J’ai eu envie de mieux analyser les liens entre l’environnement et le profil type du futur « burn-outé » pour aider tous ceux qui ont vécu un surmenage et sentent qu’ils ne sont pas passés loin :
- à mieux comprendre les imbrications,
- à ne pas se sentir coupable,
- à préparer l’avenir pour ne pas « rechuter ».
J’ai pour cela échanger avec Adrien Chignard, psychologue du travail qui accompagne depuis 15 ans les entreprises dans la qualité de vie au travail et de prévention des risques psychosociaux et Pierre Simonnin qui, à la suite d’un burnout, a créé la chaîne Youtube « le Journal du Burnout », qui ont apporté leurs éclairages sur ces questions.
Le burn-out : définitions et symptômes
Maslach et Leiter sont les deux chercheurs référents sur le burn-out et le décrive comme de « l’écartèlement entre ce que les gens sont et ce qu’ils doivent faire. Il représente une érosion des valeurs, de la dignité, de l’esprit et de la volonté– une érosion de l’âme humaine. C’est une souffrance qui se renforce progressivement et continûment, aspirant le sujet dans une spirale descendante dont il est difficile de s’extraire… Qu’arrive-t-il lorsque le burnout vous gagne ?
En fait, trois événements surviennent :
- vous vous sentez chroniquement épuisé ;
- vous devenez cynique et vous détachez de votre travail ;
- et vous vous sentez de plus en plus inefficace dans votre job ».
Dans le détail, les symptômes du burn-out sont répartis entre :
• manifestations émotionnelles : l’épuisement peut entraîner des peurs, des tensions, etc.
• manifestations physiques : troubles du sommeil, fatigues, douleurs, …
• manifestations cognitives : difficultés de concentration, de prise de décision, etc.
• manifestations comportementales ou interpersonnelles : repli sur soi, agressivité, addiction, ….
• manifestations motivationnelles ou liées à l’attitude : baisse de motivation, moral en berne, …
Les 6 principales causes de burn-out liées à l’entreprise
Parmi les causes du burn-out, 6 ont été identifiés par leurs travaux et font consensus :
- Les exigences au travail :
On retrouve ici ce à quoi on pense le plus souvent quand on parle de burn-out c’est-à-dire une intensité et un temps de travail trop important. Mais il est aussi question ici de délais et objectifs irréalistes ou mal définis, des interruptions fréquentes et pas uniquement de temps de travail excessif.
- Manque d’autonomie et de marge de manœuvre
- Les exigences émotionnelles
Il s’agit ici de situations émotionnellement éprouvantes telles que des contacts difficiles avec le public :
- clients mécontents,
- personnes en détresse venant chercher une aide en dernier recours, malades …
- violences verbales (propos désagréables, insultants, humiliants, etc.) ou physiques
Les personnels hospitaliers, dans l’humanitaire sont particulièrement sujet au burn-out.
- Les mauvais rapports sociaux et relations de travail
- Des objectifs peu clairs, contradictoires, changeants sans cesse
- Une ambiance de travail délétère : pas de soutien, supérieur indisponible, mauvaise communication
- Des comportements de manipulation, visant à l’isolement, à faire douter des capacités
- Le manque de reconnaissance
- Les conflits de valeur et la « qualité empêchée »
- Quand on ne trouve plus de sens à son travail,
- quand on a l’impression d’être inutile
- quand on n’est plus en phase avec les décisions prises par l’entreprise
- quand on sent un écart entre les valeurs de l’entreprise et ce qu’on est en dehors…
Ce que l’on nomme brown-out, la perte de sens, peut participer à un burn-out si on la laisse s’installer et si elle s’accompagne d’autres facteurs.
- L’insécurité de la situation de travail
Pourquoi les burn-out sont-ils plus nombreux après le Covid ?
Adrien Chignard explique que sur ces facteurs, la crise Covid a accentué les cas de burn-out puisque :
- nous avons été exposés à un stress long et durable
- pour beaucoup, la charge de travail a augmenté sans coupure pro/perso
- l’avenir est moins prévisible
- il y a eu moins (voir pas) de liens sociaux au travail et dans la vie personnelle pour se ressourcer, penser à autre chose qu’à son travail, relâcher la pression
- et j’ajouterai une perte de sens au travail face à une crise sans précédent
Adrien résume la situation avec une image très parlante : « l’ennemi a une plus grande épée et nous avons un plus petit bouclier ».
Les causes du burn-out du côté personnel : un profil type ?
Pierre Simonnin a créé la chaîne « Journal du Burn Out » au moment où il sortait d’un burn-out.
Le profil de Pierre, sans entrer dans une caricature, est d’autant plus intéressant qu’au moment de son burn-out, il a créé son entreprise et n’est donc pas soumis à un chef qui lui impose tout.
Pierre a une formation d’ingénieur, il commence comme salarié et juste avant la création de son entreprise vit une expérience professionnelle assez mauvaise qui le laisse « à 2 doigts du burn-out ».
Il s’investissait déjà énormément dans ces postes de salarié et me raconte qu’à l’époque son équipe lui disait « on a l’impression que c’est ta boite ». Il le prenait presque comme un compliment, mais sait maintenant qu’il était « un bon terreau ».
Pierre a très vite envie de se remettre en selle, il n’aime pas rester inactif et monte donc son entreprise.
Il a compris aujourd’hui que cela a été une erreur parce qu’il était à ce moment-là fragilisé et qu’il aurait dû faire une pause.
Il lance donc son entreprise en 2015 et le burn-out arrive à un moment où il « perd la foi », il n’est plus en accord avec ses associés, ne croit plus au développement de la société telle qu’elle est, n’a pas envie d’aller dans la même direction qu’eux.
Petit à petit, il commence à déprimer, dort mal, perd l’envie. Il n’arrive plus à travailler que quelques heures par jour. Il raconte :
« quand je sortais du métro, j’avais 5 mn du marche, à chaque pas, j’avais l’impression d’avoir un poids énorme sur les épaules. Je restais dans cet état de 11H à 15h et à 15h30 je partais épuisé. »
Il essaie de relancer la machine en prenant des vacances, en faisant un team building, mais rien ne fonctionne vraiment sur le long terme et après 6 mois de lutte, il décide de quitter sa société.
Il a ensuite quelques semaines où il ne peut rien faire d’autre que de « trainer sur le canapé ».
Quand nous évoquons avec Pierre ce qui, à son sens, a pu le conduire à en arriver jusqu’à ce stade, il évoque plusieurs pistes qu’il a pu identifier dans les accompagnements qu’il a pu faire suite à son burn-out :
- il a une très forte valeur travail transmise par ses parents
- un manque de confiance, il sent sans arrêt qu’il doit faire mes preuves, que ce n’est jamais assez
- un grand perfectionnisme ( à relier au point d’avant !)
Le profil type du burn-outé
Ces caractéristiques sont décrites dans les études sur le burn-out et je les retrouve dans les personnes que j’accompagne et qui ont fait un ou plusieurs burn-out :
- L’importance primordiale du travail dans la vie pour se sentir accompli
Alors évidemment puisque j’accompagne à trouver un projet professionnel épanouissant je ne vais pas dire que le travail n’est pas important dans la vie !
Il est pour moi essentiel de s’épanouir au travail et par le travail.
Mais pour certaines personnes le travail EST TOUT. Pour des raisons personnelles, par des « transmissions » familiales, elles ne se réalisent que par le travail.
Alors quand les choses se compliquent au travail, il n’y a pas de possibilité de trouver un équilibre ailleurs et le burn-out trouve un terreau plus fertile.
- Un perfectionnisme exacerbé
Quand on veut toujours la perfection. Quand il est impossible de rendre un travail qui ne vous semble pas « parfait ». Quand vous peaufinez votre PPT encore juste un peu alors que vous y avez déjà passé 8H…
On connaît tous des gens qui travaillent toujours beaucoup, qui repaufinent, refinalisent, relisent… Je l’ai rencontré dans ma vie professionnelle passée, je le vois aujourd’hui avec les personnes que j’accompagne et les contenus sur lesquelles elles travaillent !
Ici encore, le burn-out peut plus facilement advenir.
- Une incapacité à dire non
Il est toujours difficile de dire non à un supérieur hiérarchique qui vous demande un reporting de plus, un dossier pour demain, à un collègue qui demande un coup de main…
Mais là encore, vous l’avez repéré en entreprise, il y a ceux à qui on demande plus facilement 😉
Pour certaines personnes dire non est vraiment mission impossible. Celles-ci sont aussi bien souvent débordées dans le perso aussi où elles aident aussi tout le monde.
Et là encore, un bon terrain à épuisement, sans reconnaissance bien sûr.
Surmenage professionnel : et après ?
Responsabilité & causalité sont à dissocier
Dans le surmenage, la culpabilité se trouve quasiment toujours du côté de la personne qui vient de vivre un burn-out.
Elle se sent coupable de n’avoir pas tenu le coup, pas su résister à la pression, …
Et pourtant il est essentiel ici de distinguer pour reprendre les termes d’Adrien Chignard « la responsabilité de la causalité ».
La cause du burn-out peut être la rencontre entre des conditions de travail néfaste & votre personnalité qui va peut-être plus réagir à ces conditions de travail néfastes que d’autres.
Mais il y a bien à la base des conditions de travail néfastes et la responsabilité est bien du côté de l’employeur qui se doit de ne pas vous mettre dans ces conditions.
Adrien Chignard insiste bien sur ce point, le contrat de travail est un contrat de subordination, vous êtes lié à l’entreprise avec des droits et des devoirs. Dans les devoirs de l’entreprise, celui de vous proposer des conditions de travail adéquates.
Quand les conditions de travail pour une ou plus des 6 causes évoquées plus haut ne sont pas bonnes, c’est de la responsabilité de l’employeur, pas de l’employé.
Vous n’êtes en rien coupable.
Alors comment éviter le burn-out ou la rechute de burn-out ?
Les actions, vous l’aurez compris, sont à mener pour beaucoup du côté des entreprises : respecter les horaires, donner de la reconnaissance, … Le Portugal vient par exemple d’interdire l’envoi d’emails en dehors des horaires de travail. Adrien Chignard intervient ainsi auprès des entreprises pour faire bouger les lignes même s’il « l’avoue », elles préféreraient bien sûr penser qu’un burn-out dans l’entreprise est le fait d’un cas isolé et qu’il ne faut pas remettre en cause le système.
Mais, si vous n’êtes donc coupable de rien, vous pouvez vous aussi agir pour éviter les burn-out ou la rechute, dans le choix de votre future entreprise, dans le choix de votre futur métier et dans « votre rapport au travail » et aux éléments stresseurs.
Plus facile à dire qu’à faire bien sûr alors voici quelques idées, absolument non exhaustives à adapter selon votre profil en reprenant les grandes causes listées plus haut :
- Les exigences au travail :
- un conseil d’Adrien Chignard, plutôt que de dire à votre chef que « ce n’est pas possible » (ce qu’il n’entend pas le plus souvent!), demandez-lui de vous montrer comment faire. Si le planning et la charge sont impossibles à tenir, il le verra, sinon vous aurez appris quelque chose !
- apprenez à dire non en douceur ! Mes 2 astuces préférées :
- « est-ce que tu peux m’envoyer un mail avec ta demande et le timing » : souvent la personne va passer à autre chose ? (plus difficile avec son chef)
- « je prends note, je regarde plus tard selon mon planning et je reviens vers toi pour te dire si c’est possible et quand ». Vous arrivez mieux à dire non ou à donner un délai réaliste à distance ! Tentez ça marche pas mal !
- Avoir des activités pour décompresser, apprendre à gérer son stress, prendre du recul pour ne pas mettre le travail au centre de sa vie (avec l’aide de professionnels si besoin)
- Les exigences émotionnelles
- les techniques de gestion du stress : sophrologie, mindfullness pour relâcher la pression quotidiennement
- avoir des activités qui permettent de décompresser en dehors du travail (cela ne veut pas dire se trouver une passion !)
- Les mauvais rapports sociaux et relations de travail
- Si vous changez d’entreprise : une question à poser en entretien « comment est-ce que ce sera de travailler dans cette équipe ? », demandez à rencontrer une personne qui occupe le même poste que vous, pas uniquement RH et n+1, demandez à passer une journée d’observation parfois, allez lire les avis Glassdoor même si pas toujours efficace permet tout de même un 1er avis.
- Les conflits de valeur et la « qualité empêchée »
- Avant de repartir dans votre prochain poste, soyez au clair sur vos valeurs, ce qui est clé pour vous
- Prenez le temps de réfléchir à ce que vous aimez faire aussi
- Et à la manière dont vous aimez travailler : petite entreprise, entrepreneur, télétravail…
Bref, prenez le temps de vous demander ce que vous aimez, vos motivations au travail, la place que vous lui accordez … pour trouver un projet qui vous corresponde et vous donne le sourire !
Pour vous aider à avancer sur ces questions le guide OFFERT avec ma méthode des 3 curseurs est un bon début de réflexion.
Pierre Simonnin a pu remonter la pente en reprenant tranquillement des activités qui lui plaisaient sans pression. Il a commencé un blog sur les enquêtes en ligne puis fait des vidéos de voyage puis des vidéos sur le burn out. Il a cherché à faire des choses qu’il aimait et à mieux se comprendre tout en se faisant accompagner à côté par un psychologue du travail.
Il se rend compte aussi que le travail qu’il avait effectué par ailleurs avec un coach l’a aidé à remonter la pente plus vite parce qu’il avait compris son fonctionnement. Pierre conseille de :
- ne pas se donner de timing, pas de compte à rebours dans la mesure du possible
- se remettre petit à petit à faire des choses qui vous plaisent
- se faire accompagner
- se trouver des soutiens dans son entourage si possible et savoir prendre ses distances avec les personnes qui ne nous aident pas
Et vous aujourd’hui ?
Merci encore à Adrien Chignard pour cet échange et surtout pour son action auprès des entreprises pour que les choses bougent puisque vous l’aurez compris, si je vous donne des pistes d’action individuelles ici, les actions sont très nombreuses à mettre en place du côté des entreprises.
Vous pouvez le retrouver sur LinkedIn
Et merci à Pierre Simonnin pour son témoignage, ses conseils et son action. Vous pouvez retrouver sa chaîne du Burn Out sur Youtube et sur son Instagram
Pour finir surtout ne vous sentez pas coupable, prenez du temps pour vous, faites-vous accompagner pour remonter la pente, comprendre ce qui vous est arrivé et repartir du bon pied.
Pour faire le point sur votre situation aujourd’hui et comprendre si vous pouvez améliorer la situation ou si vous devez plutôt penser à changer de poste, je vous propose de commencer par ce test (les questions pompier sont celles qui doivent notamment vous alerter sur le burn out mais ce test n’a pas du tout de valeur scientifique autour du burn out) :
Si vous avez besoin d’aller plus loin, d’un accompagnement pour retrouver le sourire au travail, vous pouvez retrouver les programmes par ici :
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