Aujourd’hui dans les témoignages de reconversion, celui d’Anne au métier de professeur des écoles me tenait vraiment à cœur.
Je suis en effet très souvent contactée par des professeurs qui veulent quitter leur métier et j’ai déjà partagé de nombreux témoignages de prof en reconversion sur ce site.
Mais j’ai aussi des personnes dans mes accompagnements qui ont envie de devenir prof ou professeur des écoles et vous êtes aussi peut-être dans ce cas si vous lisez cet article.
A l’heure où j’écris cet article, nous sommes à quelques semaines de l’assassinat d’un professeur en France et j’avais encore plus à cœur de mettre en avant ce métier formidable MALGRE les conditions difficiles.
L’échange avec Anne a clairement dépassé mes attentes et tant je l’ai sentie s’illuminer quand elle s’est mise à me parler de ce métier de prof des écoles, tout nouveau pour elle !
Alors c’est parti pour un parcours haut en couleurs.
Mille et un métiers en sortant d’école de commerce
Bonjour pour commencer est-ce que tu peux nous raconter ton parcours ?
J’ai fait une licence LEA anglais / chinois à l’université de Bordeaux 3 puis une école de commerce qui incluait une année à l’étranger en Asie et aux Etats-Unis. J’ai voyagé en Chine, à Macao, au Vietnam, à Los Angeles…
Mon objectif au départ était de bien gagner ma vie et de ne surtout pas être prof comme tous les autres membres de ma famille !
Est-ce que ces études t’ont plu ?
Je n’ai jamais été studieuse mais j’aimais l’expérience, la vie étudiante, partir à l’étranger, et j’aimais bien le marketing.
Alors quels sont les différents métiers que tu as exercés et comment as-tu choisi ces métiers ?
Au début mon « seul » objectif c’était de gagner de quoi payer mon loyer et mes factures, j’ai fait de tout, tout ce qui se présentait, de l’intérim par exemple.
Quand j’ai vu que ça fonctionnait, que je pouvais à tout moment trouver de quoi vivre, alors j’ai commencé à chercher des emplois qui me donnaient plus envie, plus risqués. Je me disais que si ça ne se passait pas bien je pourrais toujours reprendre l’intérim et donc j’osais y aller.
Quels types de postes t’ont fait envie par exemple ?
Bon, en l’occurrence, sur le papier c’était souvent plus excitant qu’en vrai !
J’ai travaillé par exemple chez Yves Rocher comme assistante communication pour la Chine. Ce poste au départ me plaisait mais je me suis rendue compte que j’étais noyée dans un gros groupe et que je ne collais pas aux attentes, très prégnantes.
Un jour j’ai eu un entretien, que j’avais préparé avec soin, avec le DRH pour le renouvellement de mon CDD. Ce DRH m’a seulement dit, en mâchouillant son sandwich poulet-mayo, que j’étais trop souriante, « tellement souriante que ça pourrait passer pour de la légèreté ».
Je parlais à tout le monde, j’étais très ouverte, j’ai eu l’impression d’être cassée, j’ai trouvé ça tellement blessant à l’époque, ça m’a beaucoup marquée… Je me suis dit que je ne travaillerais plus jamais pour de grands groupes, dans lesquels la pression de rentrer dans le moule vous réduit, vous casse, et je ne l’ai plus jamais fait. C’était il y a plus de 15 ans mais je m’en souviens comme si c’était hier.
Cette phrase choc m’a tellement fait penser à celles que j’ai pu entendre moi aussi et qui m’ont marquées à tout jamais, c’est le sujet de l’article sur l’importance des valeurs au travail si ce sujet vous parle.
Du coup, tu as pu trouver ensuite un poste à l’étranger à la hauteur de tes espérances ?
Oui, suite à une rencontre lors d’une soirée, j’ai été embauchée du jour au lendemain par une entreprise étrangère qui m’a envoyée en Chine, réaliser des publi-reportages dans le monde entier pour de grands médias étrangers, USA Today par exemple.
J’ai travaillé et voyagé partout dans le monde, d’Hong-Kong à la Mauritanie, en passant par la Suisse, le Thaïlande ou encore le Nigeria. J’y ai fait des rencontres incroyables, les conditions matérielles étaient au top, il y avait de l’énergie, de la place pour l’envie d’apprendre et l’ambition. Je changeais de pays tous les 3 à 5 mois.
Au bout de 3 ans, j’ai eu besoin de me poser, j’avais envie d’avoir un « chez moi », de créer des relations plus durables, de retrouver du calme, des marques.
Par ailleurs, je travaillais avec des personnes pas très « réglos » et ça, je ne le supportais plus.
Les conditions étaient incroyables mais le métier ne me faisait aucun sens. J’ai tout quitté pour rentrer en France.
Et quelle a été ton activité au retour en France ?
J’ai eu plusieurs activités autour du développement commercial dans le recyclage, le consulting dans l’aide au développement en Afrique et finalement, là encore par hasard, je me suis retrouvée à faire du consulting pour une entreprise d’agro-alimentaire en difficulté pour l’aider à remonter la pente.
Et j’ai adoré cette entreprise, cette aventure.
Alors raconte-nous ce beau projet ?
J’ai bossé comme une acharnée pendant 5 ans.
Au début j’avais accepté d’être très peu payée et ensuite j’ai demandé des commissions sur ce que je faisais gagner à l’entreprise : à partir de la 3ᵉ année je gagnais vraiment bien ma vie, pari gagné !
Et c’est ce qui a causé « ma perte » finalement, parce qu’une personne de l’entourage du chef d’entreprise s’est dit que finalement l’entreprise marchait bien maintenant et qu’il serait mieux que « l’argent reste en famille ».
Là a commencé subtilement la mise en place d’un stratagème pour que je quitte l’entreprise.
Ça a commencé par de petites réflexions, des petits piques inattendues, des petits coups bas. Avec le temps, c’est devenu de plus en plus marqué, oppressant, violent.
J’ai mis longtemps à mettre des mots sur ce que je subissais, j’étais dans le déni. D’autant que j’avais non seulement relevé cette PME en faillite mais je l’avais hissée au rang de leader de son marché, c’était très injuste.
A force d’encaisser, ma santé physique et mentale se sont peu à peu dégradées, jusqu’à me retrouver au bout d’un an, dans un état physique lamentable à ne quasiment plus pouvoir marcher.
Alors comment s’est terminée cette aventure ?
C’est finalement un médecin qui m’a forcée à m’arrêter et a utilisé les mots « harcèlement moral ».
Elle m’a fait réaliser que ce que je vivais était anormal, qu’il fallait que ça cesse immédiatement. En dépit de mes protestations, elle ne m’a pas laissé le choix de m’arrêter.
J’ai mis du temps à accepter jusqu’au jour où, grâce à cet arrêt, j’ai commencé à analyser objectivement la situation, enfin. La suite a été compliquée et gérée par des avocats, ça a été beaucoup de violence, de mensonges, il a fallu que j’aille chercher des pièces, des preuves, c’était épuisant, je tenais sur les nerfs…
Et puis j’ai réalisé que je ne voulais pas rester à Paris ni dans ce genre d’emploi et là sur le Bon Coin, je tombe sur une maison dans le Sud-Ouest et j’ai un coup de cœur incroyable.
Je sens que c’est là. Je ne réfléchis pas, je fonce, je suis mon instinct, on verra le reste plus tard. J’achète grâce à mon tout dernier bulletin de salaire. Bref, en un mois j’avais acheté 3 hectares de zone naturelle, une maison, un étang, dans le Sud-ouest et j’allais m’y reconstruire.
Une reconversion en professeur des écoles comme une évidence
Des essais … et enfin le déclic pour une reconversion en professeur
Alors tu es dans ta maison dans le sud-ouest, comment envisages-tu ta suite professionnelle toi qui as toujours vite rebondi, par des rencontres notamment ?
J’ai cru que ça allait être le début de ma nouvelle vie mais en fait pas du tout.
Quand j’ai eu gain de cause avec l’entreprise, quand je n’avais plus besoin de me battre, les nerfs ont lâché, le contre coup à l’évidence. J’ai fait une grosse dépression, j’ai coulé, j’ai pris 35 kg et clairement je n’allais pas bien.
Dans cet état là qui ressemble au post burn-out tu n’avais aucune envie, aucun projet ?
Pourtant si, j’ai lancé plein de projets. J’ai pensé à monter des chambres d’hôtes et j’ai fait des travaux, site internet, plan marketing, étude de marché, j’ai voulu me lancer dans une franchise de magasin sans emballage, j’y ai fait un stage.
Mais je n’allais au bout de rien, je tournais en rond en me disant que rien ne me plaisait vraiment. Je ne trouvais pas ma voie.
Alors comment arrive l’idée d’une reconversion comme professeur des écoles ?
En août 2019, sur un groupe FB, je vois une personne qui s’est inscrite pour le concours de professeur des écoles en « 3ᵉ voie », c’est-à-dire sans passer par le cursus universitaire pour enseigner, je ne savais pas que c’était possible !
Et ce jour là, dans ma tête, tout s’est mis en place.
J’ai ressenti au fond de moi qu’il fallait que je prépare ce concours, une évidence ! Le jour même je me suis commandé les bouquins nécessaires et dès le lendemain j’ai travaillé 10 heures par jour, tous les jours. Et tout est reparti dans l’autre sens !
J’ai recommencé à prendre soin de moi, j’ai perdu 20 kg, j’ai arrêté tous les médicaments, somnifères, antidépresseurs, la vie renaissait chaque jour en moi.
Pourquoi ce déclic pour le métier de professeur des écoles ?
Je pense qu’à force de chercher ta voie, il y a 2 choses qui se créent en toi :
- Même si tu te casses les dents tous les 3 jours, tu acquières malgré tout la conviction que tu peux te relever à chaque fois, puisque tu l’as fait ! Tu prends confiance en toi et en tes capacités à rebondir. Cela ouvre ton champ des possibles, réduis tes obstacles mentaux intérieurs. Sans peur, je pouvais véritablement envisager des choses totalement inconnues, sortir de ma zone de confort.
- Ensuite il y a un cheminement intérieur qui se fait tout au long de tes tentatives et de ce qu’on perçoit souvent comme des échecs : en réalité, inconsciemment ça pousse tout doucement, sans que tu le saches, à l’intérieur de toi. Le cerveau travaille et toutes les pièces du puzzle s’assemblent peu à peu. Puis un jour, par hasard, à la mille et unième tentative de trouver ta voie, il y a un déclic. Ça n’est pas une forcément une révélation du jour au lendemain, mais tout d’un coup les pièces s’emboîtent.
Et cette fois-ci tu n’as pas laissé tomber le projet en cours ?
Non, d’abord je savais que même si ça s’était avéré encore une impasse, ce n’était pas grave au fond, j’aurais rebondi une fois de plus ! Mais cette fois-ci l’énergie, l’envie, la soif d’avancer ne m’ont jamais quittée !
Je me suis faite accompagner pour réussir le concours et je le conseille vraiment, j’ai découvert le plaisir d’étudier à 39 ans. J’ai savouré chaque minute, même dans les moments difficiles, le stress était sain, constructif, moteur. Cette année de préparation m’a fait remonter la pente !
Le concours 3ᵉ voie pour une reconversion comme professeur des écoles
Tu m’as parlé du concours 3ᵉ voie tout à l’heure, quel est donc ce concours pour devenir professeur des écoles ?
Il existe 3 façons de passer le concours :
- Le concours interne : quand on est déjà fonctionnaire autour des métiers de l’enseignement
- Le 2ᵉ concours externe : le concours « classique »pour les étudiants en Master de l’éducation, dans une INSPE (équivalent de l’ancien IUFM) ou titulaires d’un autre Master.
- Et la 3ᵉ voie : pour les parents de plus de 3 enfants, sportifs de haut de niveau et pour les personnes ayant plus de 5 ans d’expérience dans le privé. Ce sont les mêmes épreuves, le même concours, mais les quotas sont séparés. Il y a eu environ 20 postes pour 200 présents en 2020, mais les conditions étaient très particulières à cause du COVID.
Le concours est très difficile mais pas impossible, d’autant que tous les candidats de la 3ᵉ voie découvrent tous les disciplines telles que la didactique et doivent dépoussiérer leurs connaissances en mathématiques et en étude de la langue par exemple !
Il faut un niveau fin de seconde en maths et en français pour les épreuves écrites, ainsi que des connaissances en didactique des maths et du français. Pour les oraux, on doit travailler l’EPS, la connaissance du système éducatif et une option pour créer un dossier professionnel, c’est-à-dire une séquence d’apprentissage, j’avais choisi anglais.
Quand on est reçu au concours on devient professeur des écoles stagiaire : on alterne, avec un binôme, deux semaines en classe en tant qu’enseignant, deux semaines à la fac (INSPE) en tant qu’étudiant. Il faut valider le Master 2 et le stage en classe pour être titularisé comme professeur des écoles. On est inspecté une à deux fois par mois.
On a aussi des tuteurs de la fac et des profs référents qui nous aiguillent tout au long du parcours.
Alors comment s’est passé le passage du concours ?
Avec le Covid le niveau était très élevé car il n’y avait pas d’oral donc la course aux écrits a été encore plus tendue.
Le jour de l’épreuve, j’étais tellement stressée que j’en avais oublié mes affaires de maths !
La solidarité m’a sauvée, l’esprit concours n’a pas été plus fort que tout ! Nous étions tous alignés, des milliers d’étudiants, avec des petits bureaux individuels. Une fois la copie reçue et le timing lancé, je me suis répété aux moins cent fois « Tu peux le faire ! Tu peux le faire ! Allez ! Tu sais tout ce qu’il faut savoir, tu peux le faire !».
Une fois le concours passé, je croyais que je n’aurais pas le concours car j’ai repensé à toutes ces réponses que j’aurais pu améliorer, à toutes mes erreurs…
En juillet quand j’ai vu mon nom sur la liste des 20 candidats retenus, je n’y croyais pas ! Il y a eu beaucoup de pleurs, enfin une bonne nouvelle dans cette année noire….
2020 a été une année difficile pour tout le monde et j’ai eu en plus personnellement des choses vraiment difficiles à gérer mais je me suis dit que changer de vie pour ma 40ᵉ année, c’était une sacré chance !
Le métier de professeur des écoles : la vision d’une reconvertie
Alors comment se passe cette 1ère année de reconversion où tu es professeure stagiaire ?
J’ai des larmes de fierté en t’en parlant !
J’ai un plaisir de dingue, j’adore le contact avec les enfants, j’adore préparer mes cours, découper mes feuilles canson pour les initier aux fractions ou chercher des supports, lire des bouquins de didactique, découvrir des méthodes pour enseigner telle ou telle notion, j’adore quand ça fonctionne en classe, même quand ça ne fonctionne pas, d’ailleurs, et ça arrive !
J’ai aussi tellement de choses à améliorer, tellement d’expérience à engranger, je constate au quotidien mes erreurs et toutes ces choses que je ferai différemment la prochaine fois, mais je suis là où je me sens utile, vivante à nouveau…
J’ai une classe de CM1 cette année. 27 élèves ayant des niveaux très différents. L’année prochaine j’aimerais demander à travailler en SEGPA, avec des élèves un peu laissés de côté…
Qu’est ce qui te plait le plus dans le métier de professeur des écoles ?
- Faire découvrir ou comprendre des choses aux enfants, voir leurs visages qui s’éclairent quand tout d’un coup cela leur fait sens ! Les voir en redemander, s’enthousiasmer pour leurs réussites ou celles de leurs camarades ! Voir leurs grands yeux quand je leur parle de quelque chose qu’ils ne connaissent pas ou quand je fais du seconde degré, j’adore !
- Les voir grandir, cheminer, développer leurs connaissances, leurs personnalités, affirmer leurs choix, aiguiser leurs convictions.
- Leur contact, j’apprends beaucoup sur moi : j’ai toujours cru que je n’étais pas du tout patiente et en fait ca se passe mieux que ce que je ne pensais ! Ca me fait du bien, ça m’apaise. Ils m’obligent à aller chercher des ressources que je ne pensais pas avoir.
- Le lien que l’on a tissé, la confiance est là, le droit à l’erreur est entendu, on échange beaucoup, je n’ai pas peur de parler de mes propres difficultés ou de mes émotions. Ca les aide à relâcher un peu la pression je pense. Le climat de classe est très agréable à présent. Avec mon binôme on voulait avoir pour priorité la bienveillance. Aujourd’hui, ils s’applaudissent les uns les autres, il n’y a quasiment plus aucune moquerie face aux difficultés en classe et en récréation. C’est sain, c’est brut, innocent, il n’y a pas d’ambiguïté, les relations avec les enfants sont authentiques.
Ah la patience, c’est un point clé parce que c’est un frein pour beaucoup dans une reconversion pour devenir professeur cette question : « Est-ce que j’aurai la patience », comment le gères-tu alors ?
J’ai 27 enfants de CM1 donc j’ai de la chance, c’est plus calme qu’en cycle 1. Je sais qu’en maternelle ca aurait été plus compliqué pour moi par exemple.
Je suis très autonome et indépendante et je leur ai expliqué dès le début de l’année que l’autonomie serait le mot d’ordre du CM1 ! Alors j’essaie de toujours tendre vers cela, je ne lâche rien sur ce point.
Par exemple, quand ils me posent une question, je les amène à se demander s’ils peuvent y répondre eux-mêmes.
Le « à ton avis ? » est ma meilleure arme. Idem pour le matériel, ils savent que je ne veux pas en entendre parler, qu’ils sont grands, qu’ils peuvent voir avec le voisin ou aller chercher dans les étagères appropriées.
Je ne donne jamais la réponse ou très rarement, avant qu’ils n’ y réfléchissent d’abord. A la rentrée j’avais 27 gosses qui me demandaient toutes les 3 minutes « maîtresse, il faut sauter des lignes ? », « Maîtresse, je n’ai plus de crayon à papier ! », « Maîtresse, c’est quelle page ? » : à la veille des vacances de Nöel, c’est quasiment fini.
Ils ont pas mal appris à se débrouiller pour éviter mes gros yeux!
En fait, comme je ne suis pas très patiente quand il s’agit de choses de l’ordre du détail ou de réponses qu’ils connaissent déjà, je leur ai fait comprendre que je préférais être là pour les aider aux choses « importantes ».
Ils comprennent très bien ces choses là, on en parle beaucoup ensemble. Et ils jouent le jeu et moi aussi : pour ce qui est important, en contrepartie, comprendre une erreur ou avoir besoin d’une nouvelle explication, je suis très patiente. On a trouvé un équilibre. Encore une fois, je sais aussi que ça marche parce que j’ai des CM1, avec des plus petits je ne sais pas comment je ferais.
Et puis je pense aussi qu’une qualité clé va être le détachement.
Qu’est-ce que tu entends par détachement ?
J’ai tendance à prendre les choses très, trop, à cœur.
Quand les élèves sont dissipés, j’ai le reflexe de le prendre comme quelque chose de personnel. Quand ils n’arrivent pas non plus à faire quelque chose, je me remets en question tout le temps, en permanence, je doute énormément, c’est épuisant, c’est parfois compliqué émotionnellement.
Je travaille sur moi à me détacher, à me raccrocher à l’idée que je fais de mon mieux et à leur faire confiance. Je passe beaucoup de temps à leur expliquer les raisons de mes choix ou de mes attentes, en matière de comportement par exemple.
Ainsi, quand j’attends le silence c’est pour éviter qu’on perde LEUR temps, pas le mien. On discute beaucoup, on échange sur nos ressentis, nos émotions, j’ai remarqué que plus je parle avec eux, plus on s’explique, plus ça les implique et ça les rend responsables. Ce n’est pas du temps perdu c’est un investissement rentable. Ca s’améliore tout doucement !
Mais c’est un travail de tous les jours et c’est ma première année donc j’ai bien conscience que j’ai encore beaucoup à apprendre et je ne donne de leçon à personne !
Alors on a parlé de ce que tu aimes, qu’est-ce que tu aimes moins ?
Alors comme en entreprise, j’ai du mal avec le « moule » et c’est un sacré moule l’Éducation Nationale !
Néanmoins j’ai de la chance parce que j’ai un inspecteur et une équipe ouverts mais je sais que, dans certains cas, pour celles et ceux qui ne sont pas soutenus, ça peut être très dur.
Il ne faut pas idéaliser l’environnement, il peut y avoir autant de « coups tordus » voire d’injustices que dans le privé, mais on est le plus souvent en classe, on y a quand même une certaine liberté de mouvement.
Le rythme est épuisant aussi, je me lève à 5h30 tous les matins, j’ai une heure de route, je rentre il est 20 heures, je mange vite fait et je bosse jusqu’à minuit.
Et malgré ça je suis tout le temps en retard par rapport à ce que je devrais faire. Je n’ai pas d’enfants, je ne sais pas comment font les autres !
On en « chie » vraiment la première année !… Pardon pour l’expression ! On sort la tête de l’eau au bout de 5 ans paraît-il…
Et enfin ce qui est dur c’est de ne pas pouvoir faire avancer tous les gamins comme on le voudrait et de devoir jongler entre les différents rythmes des enfants dans une classe de 27 : ceux qui vont très vite, ceux qui ont des difficultés … Je leur demande de s’aider entre eux par exemple, dans ma classe, pour pallier ce souci mais ce n’est pas simple. Je suis tout le temps frustrée de ne pas pouvoir les accompagner autant que je le voudrais…
Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui veut se reconvertir comme professeur des écoles ?
Pour ce qui est de se reconvertir dans l’enseignement c’est compliqué car je débute, mais je conseillerais d’abord de ne pas avoir de vision idéalisée de la grande famille de l’enseignement ou du « statut » de professeur qui a disparu, j’ai l’impression !
Le respect inhérent à la position d’enseignant, que ce soit de la part de l’élève comme de celle des parents, il faut le gagner, presque le négocier ! Ce n’est pas évident. Je dois parfois me comporter avec les parents comme avec je le faisais avec mes clients pour qu’ils « adhèrent » à mes méthodes.
On n’y va pas pour le salaire non plus : 1400 euros pour un métier de bac +5…. Je gagnais 10 fois plus avant. Même si la sécurité de l’emploi est un luxe aujourd’hui.
Pour une reconversion de manière générale, je dirais que quand j’ai un choix compliqué à faire, ce qui m’aide le plus c’est de me demander ce que je regretterais le plus, c’est un bon indicateur.
Le temps passe vite, je ne veux surtout pas me dire un jour « si seulement j’avais osé ».
Alors certes cela implique des galères financières et matérielles souvent, de sortir de sa zone de confort même quand elle ne nous rend pas heureux, mais cela en vaut la peine : quelle chance de se sentir fier d’avoir osé suivre ses rêves !
Justement en quoi ton expérience passée dans le marketing, le commercial est-elle utile à ton métier de professeur des écoles aujourd’hui ?
Je pense que c’est un plus d’arriver d’un autre univers. Les personnes comme moi qui se reconvertissent ont un petit quelque chose à apporter, j’en suis certaine !
Mon expérience passée m’a permis de développer une certaine flexibilité, j’ai vécu auprès de populations de pays, de cultures très différentes les unes des autres, ce qui est utile pour gérer des parents ou des enfants compliqués. Mais encore une fois, je débute, je n’ai pas encore traversé de gros remous.
En tant qu’ex-commerciale, j’ai l’habitude de devoir capter l’attention, de théâtraliser, de convaincre, de jouer avec l’autre, j’ai l’habitude de me positionner, ça m’aide énormément!
Je sais aussi que j’ai plusieurs cordes à mon arc et que je pourrais à nouveau changer de métier si je le souhaitais, donc je fais ce métier vraiment par choix sans la pression du « je ne sais rien faire d’autre, je dois m’accrocher coûte que coûte », c’est une réelle chance.
Et si c’était à refaire ?
Je le referais mille fois, à ce jour.
Je crois beaucoup en l’effet colibri : on me dit souvent que l’éducation nationale ce n’est plus ce que c’était, que le système est bancal.
Je suis d’accord, mais c’est aussi pour ça que j’y vais, je voudrais apporter ma petite goutte d’eau pour éteindre l’incendie ! On me dit que c’est « de pire en pire », mais je vois aussi des gens qui adorent leur boulot, payés des cacahouètes, mais qui sont des profs merveilleux qui changent la vie, comme dans la chanson de Goldman! Et je rêve de faire pareil…
Je suis tellement convaincue que l’éducation est la base de tout, la solution à tous nos maux humains, que travailler à cette « cause » me fait me sentir bien.
Mon seul regret est d’avoir attendu si longtemps, notamment vis-à-vis de ce que j’ai infligé à mon corps, la souffrance physique, morale, émotionnelle. J’aurais aimé m’écouter, me respecter plus tôt.
Mais dans tous les cas pour tous ceux qui doutent : le seul secret est de ne jamais continuer d’essayer. Et puis j’aime bien cette phrase aussi : « La différence entre ce que l’on a et ce que l’on veut, c’est ce que l’on fait ! ». Donc quand je n’ai pas ce que je veux, alors je sais que je ne fais pas ce qu’il faut faire ! Je réfléchis, je tente et j’aviserai ensuite ! De toute manière rien ne se passe jamais comme prévu alors inutile de planifier les choses plus que de raison avant de se lancer !
Entre ce qu’on a et ce qu’on veut : ce qu’on fait … MAIS ENCORE ?!
Dans le témoignage de reconversion d’Emeline, elle parlait aussi beaucoup de l’importance d’agir et d’essayer des choses.
Anne a aussi beaucoup écouté son instinct, son parcours est semé de rencontres, de « hasard » et d’opportunités qu’elle saisit.
Son conseil est de continuer à essayer, à tenter : en se plantant on se rend compte qu’on apprend à se relever et que finalement ce n’est pas si grave, il sera toujours possible de rebondir :
- d’aller faire de l’intérim
- d’utiliser vos nouvelles compétences
- d’utiliser les anciennes
- d’utiliser ce que vous apprenez dans les échecs, les tentatives …
Pour vous selon votre situation, vous pouvez comme Anne décider d’avancer seul(e) :
- si vous avez des idées, tentez les
- si vous n’en avez pas cet article peut vous aider pour commencer !
Ou bien, vous pouvez sentir que seul(e), vous n’allez pas au bout, vous allez trop lentement, vous tournez en rond, vous restez figé(e) et dans le PROGRAMME TROUVER SA VOIE est là pour ça !
Avec un volonté vous permettre d’oser le changement, petit, moyen ou grand peu importe mais vous apprendre à mieux vous connaître pour trouver le projet qui vous épanouira vous aussi !
Mais la seule chose qui vous ferait échouer à coup sûr ?! Ne rien faire 😉
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