Je continue mes témoignages de reconversion avec celui de Romane qui me tient à cœur puisqu’il s’agit
- De la reconversion d’une infirmière : ce métier vocation peut, nous le savons tous, être particulièrement difficile à exercer dans les conditions actuelles et nombreuses sont les infirmières à vouloir se reconvertir. Les reconversions des infirmières sont souvent encore plus « douloureuses » que pour une reconversion classique justement parce qu’il y avait au départ une vocation, il y a beaucoup de points communs avec les reconversions chez les professeurs.
- D’une création d’une entreprise dans le secteur du zéro déchet qui, comme beaucoup d’entre nous, me touche beaucoup, mais reste un vrai défi de rentabilité, d’autant qu’il s’agit du secteur des tissus où le temps à passer en couture rend le défi encore plus grand !
Nous avons donc échangé sur :
- pourquoi quitter son métier d’infirmière ?
- Pourquoi une reconversion vers le zéro déchet ?
- Comment rendre son projet viable et la suite des envies pour son entreprise ?
Pourquoi avoir quitté le métier d’infirmière ?
Romane, pour commencer, peux-tu nous parler de ton parcours, être infirmière était une vocation pour toi ?
Absolument, devenir infirmière puéricultrice était un rêve de longue date pour moi, remontant à mes années de collège et de lycée. Je ne me voyais pas exercer autre chose. Mon objectif était spécifiquement de travailler avec de jeunes enfants.
Initialement, je pensais même à faire un CAP Petite Enfance, car ce qui m’attirait vraiment était le soin et l’accompagnement des tout-petits, mais mon entourage m’a poussé à continuer des études et j’ai donc fait des études d’infirmière en sachant que je souhaitais me spécialiser.
À partir de quand as-tu commencé à ressentir de la souffrance dans l’exercice de ton métier d’infirmière ?
Dès mes études d’infirmière, j’ai constaté que le milieu hospitalier ne correspondait pas à mes attentes.
C’était un environnement souvent très éprouvant émotionnellement, notamment en raison des situations de souffrance dans les équipes.
J’ai observé des situations qui se répétaient dans quasiment tous les stages avec des personnes en mal-être qui entrainaient des situations compliquées à vivre pour le reste de l’équipe. Et je n’ai pas eu envie de continuer dans cet environnement trop difficile pour moi.
Tu n’as pas décidé, comme beaucoup, de t’installer en libérale ?
Non, une fois diplômée, j’ai travaillé en PMI où j’accompagnais les mamans quand elles sortaient de la maternité.
Je travaillais dans un quartier sensible de Rennes, et ce travail s’est transformé en prévention, c’est-à-dire prévention pour les troubles alimentaires de l’enfant, conseil sur l’alimentation, prévention pour les accidents domestiques, et cela s’est rapidement transformé en protection de l’enfance 100% pure.
J’ai été très investie dans ce poste, mais après avoir eu mes propres enfants, j’ai commencé à ressentir le poids émotionnel et mental lié à ce travail. Je me sentais parfois déconnectée de ma propre famille, passant trop de temps à aider les autres.
Est-ce que c’était principalement l’aspect mental qui te pesait ?
Au début, en travaillant dans la fonction publique, j’avais un emploi du temps assez stable. Mais ensuite, en acceptant un poste dans une association gérant des mesures éducatives judiciaires, j’ai été confrontée à une flexibilité qui, bien que séduisante au départ, s’est révélée épuisante à long terme. Il m’arrivait de rentrer tard le soir, préoccupée par les familles que je suivais.
Ce métier devenait donc trop dur et trop prenant, comment est né le projet « Les cotons de Romane » ?
J’ai commencé ce projet « à côté » de mon métier quand j’étais en PMI puis avec la naissance de ma famille pour répondre à mes besoins pour commencer. Mais à cette époque, j’étais dans le public donc cela me paraissait risquer de quitter cette stabilité. Puis quand j’ai quitté mon emploi en PMI pour l’association, en continuant à développer cette activité, cela m’a retiré cette peur et j’ai pu petit à petit me lancer.
Mais le point de départ est « juste » de répondre à des besoins personnels, puis des demandes des proches, etc.
Pourquoi une reconversion vers le zéro déchet quand on était infirmière ?
Dans le détail, ces produits répondent donc à des besoins / envies personnels, peux-tu nous en dire plus sur ces besoins ?
La boutique était surtout une boutique de création lavable qui s’est transformée maintenant en plutôt une boutique de produits écoresponsables. Mais donc à la base, je fabriquais des créations lavables, que j’utilisais chez moi, dont j’étais convaincue.
Et en fait, plus j’utilisais de produits lavables chez moi, plus je me disais, « ah, ça baisse mon budget et la taille de ma poubelle ». C’était le début d’une prise de conscience, qui ne fait que grossir depuis, mais la motivation est venue comme cela et j’ai radicalement changé de mode de vie derrière.
Quels ont été les premiers produits que tu aies commercialisés ?
Mes premiers produits étaient des cotons lavables. Ce qui les rendait uniques, c’était le choix des matières. Contrairement aux produits existants en éponge de bambou qu’on pouvait trouver dans les magasins bio qui ne donnaient pas toujours très envie, j’ai proposé plusieurs types de cotons en différentes matières comme le coton doudou ou la polaire.
Et en commençant à créer des alternatives écologiques esthétiques pour moi-même, j’ai rapidement attiré l’attention. Le bouche-à-oreille a très bien fonctionné et les demandes ont commencé à affluer.
Tu as donc créé ce projet au départ pour toi, puis ça a marché, mais tu n’as pas tout de suite quitter ton emploi, tu développais l’entreprise en « side project », pour quelles raisons ?
Je travaillais jusque 60h par semaine, j’étais passionnée par tout ce que j’apprenais dans ce lancement d’entreprise donc jusqu’à un certain point je ne le subissais pas trop.
Mais j’ai surtout gardé les deux postes pour des raisons financières : congé maternité, emprunt bancaire pour l’achat de notre maison . Ce sont des choses plus difficiles quand on est en plein lancement d’entreprise.
Mais au bout d’un moment, c’était trop et il a été temps de quitter mon emploi !
La croissance de mon entreprise a vraiment décollé lorsque j’ai décidé de me consacrer à 100% à mon activité. Avant cela, je faisais tout moi-même, de la couture à la communication, ce qui limitait ma capacité à développer mon activité. En déléguant certaines tâches et en me concentrant sur la communication et le développement de produits, mon entreprise a pu augmenter rapidement sa visibilité et son chiffre d’affaires.
Qu’est-ce que tu aimes le plus dans ce que tu fais au quotidien ?
J’aime la diversité et la liberté, j’ai la chance d’avoir plein de métiers différents :
- je suis couturière,
- je suis créatrice de contenu sur les réseaux,
- je suis gérante d’une entreprise,
- je suis préparatrice de commandes.
C’est ça que j’adore, c’est que s’il y a un jour où j’ai envie de faire de la création de contenu, je fais de la création de contenu.
Si j’ai envie de me poser toute une journée en regardant un film, en faisant de la couture, je fais ça.
Enfin, voilà, j’ai une liberté, en fait, dans mes missions, qui est très, très importante.
Comment réussir une création d’entreprise en reconversion ?
Tu disais que les réseaux sociaux ont décollé dès le départ mais qu’il y a à présent plus de concurrence sur ton secteur et sur les réseaux par ailleurs, comment gères-tu ta communication ? As-tu suivi des formations ? Comment t’entoures-tu ?
Je me suis associée avec mon conjoint qui lui avait fait une école de commerce ce qui a été très utile pour de nombreuses étapes.
Pour tout ce qui est réseaux sociaux, j’ai vraiment appris en faisant, j’ai toujours réfléchi à ce que je passais comme message, je n’y vais pas au hasard et je teste beaucoup de choses parce que ca change tout le temps.
Depuis peu aussi j’intègre un réseau d’entrepreneuses parce que jusqu’ici, j’étais assez isolée et je commence à voir l’importance de s’entourer. Je vois qu’il y a plein d’erreurs qu’on n’aurait pas faites si on avait eu les bonnes personnes avec qui échanger.
Quels conseils donnerais-tu pour la présence sur les réseaux sociaux avec ce que tu observes aujourd’hui ?
Je vois des gens par exemple qui publient un post par semaine selon leur humeur, ça ne peut pas suffire. Je pense que pour réussir, cela demande une rigueur vraiment très, très importante. Et encore plus maintenant avec la concurrence qui existe.
Beaucoup de créateurs sous-estiment cette rigueur, le fait que ça ne s’improvise pas chaque matin selon les envies, ça se construit complètement une politique de communication.
Est-ce que tu vois d’autres facteurs importants de réussite ?
Oui, l’innovation. L’esthétisme a toujours été un élément clé pour moi. Je passe beaucoup de temps à choisir les tissus et motifs qui distinguent mes produits. Cette attention à l’esthétique a été un facteur important dans le succès de mon entreprise, car cela m’a permis de me démarquer sur un marché de plus en plus concurrentiel.
Mais aussi sur les réseaux, je vois des créatrices dont j’étais fan il y a 3-4 ans où je me disais, c’est incroyable ce qu’elles ont construit.
Et en fait, 3-4 ans après, les réseaux sociaux ont entièrement évolué et pas elles, elles ne sont pas passées au format vidéo par exemple, elles postent une photo toute simple et si cela suffisait en 2018 ce n’est absolument plus le cas aujourd’hui.
C’est difficile, mais il faut toujours remettre en question son travail.
Et aussi, ne pas juste se dire « je vais faire un business », au début, je soûlais avec mes histoires d’écologie, de réduire sa poubelle et tout. Mais je pense qu’il faut vraiment croire en son truc. Si on se dit « non, je lance un business parce qu’il me faut une idée pour être dans l’entrepreneuriat », je pense franchement que ça ne marche pas.
Il faut un truc qui t’anime pour s’y investir à fond, avoir envie de soulever des montagnes. Et être débrouillard(e) !
Aujourd’hui quels sont les produits que tu proposes et comment vois-tu la suite ?
L’objectif aujourd’hui est de proposer le maximum de créations lavables, vraiment de remplacer tout ce qu’il est possible de remplacer en lavable. Pour toutes ces créations, nous avons huit salariés dans l’entreprise et 18 couturières qui travaillent pour l’entreprise, mais qui sont auto-entrepreneuses.
Et à côté, nous présentons 70 marques de produits de revente avec toujours en tête une ligne directrice d’une entreprise « clean » à tout niveau : management comme produits.
Aujourd’hui pour développer de nouveaux produits, de nouvelles idées, toute l’équipe est impliquée et peut proposer des idées, on teste tous et toutes et il faut qu’on adhère tous ensemble.
Est-ce que la gestion d’une équipe, le développement te semble compliqué ?
Dans le développement de l’entreprise, le gros enjeu pour moi est aussi de rester alignée avec nos valeurs.
Dans l’entrepreneuriat, tu as plein de gens en plus qui vont venir te dire, il faudrait que tu fasses ceci ou cela.
Et de rester toujours alignée avec ses valeurs, avec le pourquoi on fait ça, permet d’éviter beaucoup d’erreurs.
Pour nos équipes, on veut que nos employés soient heureux, et donc leur permette de trouver un équilibre. Elles ont donc une énorme souplesse dans leurs horaires, leur organisation et elles sont ainsi plus impliquées et plus épanouies.
Quels sont les grands enjeux que tu vois pour la suite ? Et quelles sont pour toi les choses les plus difficiles de l’entrepreneuriat ?
L’engouement pour ces produits va continuer d’exister, mais on est très dépendants des réseaux sociaux et le chiffre d’affaires pourrait baisser.
Pendant très longtemps, je calculais pour qu’en trésorerie, on ait suffisamment pour vivre au moins six mois.
Aujourd’hui, j’ai moins peur, on achète un nouveau local qui est un gros investissement et il est important de le faire et j’y vais !
Et au pire, je suis infirmière de toute façon, je ne pourrais pas être sans emploi !
Et ma question classique de la fin, « et si c’était à refaire » ?
Alors si c’était à refaire, je le referais mille fois.
En revanche, je pense que je quitterai plus tôt mon emploi.
Parce qu’en fait, j’ai « perdu » trois ans, si je m’étais lancée à 100 % plus tôt, on serait encore dans une croissance plus forte, je pense.
Je dirais que j’aurais moins peur, parce que je suis restée quand même longtemps coincée par mes peurs. Je n’avais jamais montré mon visage ni quoi que ce soit jusqu’en 2021, c’était très impersonnel. Alors que maintenant les gens m’écrivent à moi, ce sont bien les cotons de Romane avec une « vraie » personne derrière !
Et puis si jamais un jour les bébés me manquent, j’intègrerai sans doute ma formation d’infirmière puéricultrice dans un autre projet d’entrepreneuriat !
Pour aller plus loin
Merci beaucoup Romane pour cet échange passionnant !
Vous pouvez retrouver les cotons de Romane par ici :
Romane a donc décidé de quitter le métier d’infirmière puériculture pour des questions différentes raisons :
- un environnement humain compliqué lors de ses stages avec des personnes qui allant mal pouvaient créer une ambiance de travail compliquée.
La pression des horaires, du « rendement », les situations difficiles rencontrées peuvent expliquer le grand nombre de personnels en souffrance dans les hôpitaux Ces personnes auraient besoin de soutien, les hôpitaux auraient besoin de moyen… Mais sans solutions simples à ces problèmes, la solution est parfois de s’extraire, soi, de cet environnement quand cela devient trop difficile.
- dans la suite, des horaires et des situations humaines difficiles pour sa vie de famille.
Cette situation montre que le sens ne peut pas tout faire et qu’il est important aussi de respecter d’autres critères dans la recherche d’un travail épanouissant.
Pour aller plus loin sur la question du sens au travail, je vous propose un article sur le thème : je veux être utile, mais encore ?
Trouver le bon projet quand on quitte un métier « vocation » ?
Si le sens ne fait pas tout, quand on quitte un métier vocation, le sens est encore souvent présent !
C’est bien le cas pour Morgane qui insiste bien, et je la rejoins complètement, sur le fait d’avoir un « pourquoi » puissant quand on monte un projet d’entreprise.
Avoir un projet qui vous tient, vous porte suffisamment pour être prêt à traverser les montagnes russes entrepreneuriales est clé selon moi aussi, tout comme travailler la partie chef d’entreprise, la compréhension du marché, des clés de succès, les évolutions …
Le side project, oui mais
Enfin, développer son projet en parallèle de son poste salarié est donc une bonne idée au départ, pour sécuriser le projet, MAIS il faut savoir lâcher pour pouvoir faire décoller le projet vraiment.
Il n’est que rarement possible de pouvoir voir le potentiel réel d’un projet en y passant 20% de son temps alors que vous avez des concurrents qui y passent 100%. C’est donc une bonne solution pour faire émerger le bon projet, lancer les débuts, mais si vous restez trop longtemps en side project, vous risquez l’épuisement moral, physique et de penser que ça ne marchera jamais alors que vous n’y passez juste pas assez de temps.
L’article sur le side project est là pour vous aider à réfléchir à cette question si vous en êtes à cette étape.
Si vous avez envie de commencer à réfléchir à ce qui pourrait être au cœur de votre reconversion, le guide OFFERT vous permet d’aller comprendre vos critères clés d’épanouissement :
Le programme TROUVER SA VOIE, la Grande Aventure
Enfin, si vous voulez aller dans le détail :
- vous connaître sur le bout des doigts, explorer votre pourquoi,
- faire émerger des idées, des projets
- aller les valider, les confronter au réel
- et si besoin travailler la partie création d’entreprise
c’est ce que nous faisons dans le programme TROUVER SA VOIE, la Grande Aventure ! (CPF possible)
Bonjour Mireille, merci pour ce témoignage. Effectivement il y a un vrai problème dans la « gestion du personnel » dans les hopitaux qui poussent beaucoup d’infirmière à quitter un travail qu’elles aiment encore par ailleurs. Je suis heureuse de lire que vous avez pu trouver un projet qui vous a finalement épanoui et je vous souhaite une belle retraite bien méritée ! Annaick